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Emoji X : ce personnage bizarre dans ton téléphone

Canapé. Chillance. Le téléphone d’un pote sonne. Au lieu d’une photo, sur l’écran une image s’affiche :

X1

– C’est qui ?

– Mon ex.

 

Drôle de détournement pour cet emoji que personne n’utilise. Jamais. Oui si peu. En tout cas moins que leset les . Si quelqu’un l’utilise, qu’il laisse un message, un article est en préparation sur « Ces personnes bizarres qui utilisent Emoji X ».

 

– Tu décroches pas ?

– Non.

– Ah bon ?

– Non, pourquoi ? Tu as envie de lui parler ?

– A elle non. Mais à la petite personne bizarre qui s’affiche, oui.

 

Je sais très bien qui est l’ex de mon pote. En revanche ce que je ne sais pas c’est :

Qui est cet emoji étrange avec ses bras en croix ? Que veut-il ? Que dit-il ? Que représente-t-il ?

 

Un contenu classé X ? Une hôtesse de l’air ? Une pom pom girl en pleine choré’ au Super Bowl ? Scully, une idée ? Mulder ?

 

 

Dans L’empire des signes, Roland Barthes écrit : « L’Orient m’est indifférent, il me fournit seulement une réserve de traits dont la mise en batterie, le jeu inventé, me permettent de « flatter » l’idée d’un système symbolique inouï, entièrement dépris du nôtre ». Ouais. Je lance une requête Google : « Emoji X ».

 

Sur emojipedia.org, Emoji X porte le nom de Sioux de Face With No Good Gesture. Un article de Quartz m’éclaire un peu plus sur la question. Selon un essai dans Medium signé Lauren Archer, « l’icône X, désormais symbole standard de fermeture d’une fenêtre d’ordinateur, aurait été utilisé il y a longtemps sur un système Atari de 1985 ». Un emoji symbole de fermeture ? Pour mieux le comprendre, Lauren Archer évoque son emoji miroir : l’ouverture.

O

A propos de ces deux symboles elle explique : « X pour fermeture et O pour ouverture pourraient venir des symboles japonais batsu et maru. Batsu, symbole d’incorrect, peut représenter le faux, le mauvais, ou l’attaque. Tandis que maru signifie « correct », vrai, bon, entier, ou quelque chose de précieux ». Je poursuis mes recherches.

Élu mot de l'année par les dictionnaires Oxford en 2015, à l'origine de l'emoji on trouve deux mots japonais associés : « e » pour image et « moji » pour lettres.

 

Et une volonté de départ : permettre aux premiers utilisateurs de mobiles de s’exprimer rapidement, avec une connexion internet à l’époque pas toujours optimale. Inventés par Shigetaka Kurita en 1999, les emojis forment alors de petits symboles pixelisés, plus ou moins évocateurs. On peut y remarquer alors l’existence des symboles bastu et maru, sous forme d’une croix et d’un rond rouges, n’ayant pas encore pris visage humain (sauras-tu retrouver Emoji X ?).

emojis

Au départ simplement pratiques, peu à peu, les adolescents s’en emparent et commencent à en faire leur moyen d’expression favori. Prenant de plus en plus d’ampleur au Japon, le succès des emojis finit par retentir jusqu’en Occident. Problème : chaque compagnie de mobile souhaitant proposer ses propres emojis, c’est finalement The Unicode Consortium qui sera en charge d’harmoniser l’affaire. Apple, Google, Microsoft, Twitter… chacun se met alors à proposer ses emojis. Obama en parle sur le perron de la Maison Blanche. Et le tennisman Andy Murray raconte le déroulé de son mariage, iconique.

Andymariage

Mais bien sûr, on est en Occident. Et en Occident, qu'est-ce qu'on veut ? Du cul et de la violence.

 

Alors on se bat pour faire exister l’emoji doigt d’honneur – middle finger – sur iPhone. L’aubergine est censurée par Instagram pour ses détournements obscènes. Et Durex lance une campagne pour obtenir un emoji capote. On s’étonne de n’avoir pas encore vu Emoji X embrigadé dans une campagne contre le harcèlement féminin, rappelant aux jeunes générations ce que veut dire un non, et ce que veut dire un oui.

condom

Évidemment, en même temps que les emojis prennent de l’essor en Occident, les japonais, eux, s’en détournent. Trop ploucs ? Trop moches ? Sur Slate.fr, leur créateur s’explique : « L’image que j’avais à l’esprit était quelque chose de proche du texte. Moins de e (image) et plus de moji (lettres). Pour que chacun puisse les utiliser comme des icônes, sans que le goût n’entre en jeu. Pour moi, il s’agissait de pictogrammes ou d’icônes. Pas des décorations, mais des outils de communication, les mêmes pour tous les utilisateurs quels qu’ils soient ».

 

Si les premiers pictogrammes laissaient place à l’ambiguïté chère au design pop japonais, les jeunes boudent le design des emojis d’Apple, leur préférant ceux proposés par la plateforme Line. Trop explicites les emojis occidentaux ? En tout cas pas assez kawaï.

Et Emoji X dans tout ça ? Avec son sens abscons, serait-il le dernier vestige du signifiant japonais, dans un monde de brutes occidentales ?

 

Retour à L’empire des signes, de Roland Barthes : « Le signe japonais est vide : son signifié fuit, point de dieu, de vérité, de morale au fond de ces signifiants qui règnent sans contrepartie. Et surtout, la qualité supérieure de ce signe, la noblesse de son affirmation et la grâce érotique dont il se dessine sont apposées partout, sur les objets et sur les conduites les plus futiles, celles que nous renvoyons ordinairement dans l’insignifiance ou la vulgarité ».

 

Je relis ce passage une deuxième fois, puis une troisième. Et au moment où je crois enfin en saisir le sens, au moment où je crois saisir l’essence même d’Emoji X, je repense soudain à un vieux clip de rap d’Xzibit, featuring Dr Dre et Snoop Dogg, réalisé en 2000 et intitulé, je vous le donne en mille, « X ». Et si Snoop Dogg nous en avait révélé le sens ?! Ni une ni deux, je lui demande de me rafraîchir la mémoire.

 

– Hey hey hey, D-O-double G, que peut bien signifier ce X s’il te please ?

– « Xuberant, Xtravagant, Xtrordinary, Xciting, X-a-lotta / XO with a little bit of Xtacy / X-ing your bitch-ass out if you tryin’ to test the G / And what’s the recipe ? Xcalibur weaponry / And we shoot Xceptionally / That there is hot – X marks the spot? / Fuck now, X spots the marks / Xclamation point, niggas ! »
– Oh… OK. ThX.

emojiX

Montage maison (cherche DA pour trafiquer le clip)

Pas plus éclairée, je me replonge dans la lecture de Rolland Barthes.

 

« La mesure du langage est ce à quoi l’Occidental est le plus impropre; ce n’est pas qu’il fasse trop long ou trop court, mais sa rhétorique lui fait un devoir de disproportionner le signifiant et le signifié, soit en « délayant » le second sous les flots bavards du premier, soit en « approfondissant » la forme vers les régions implicites du contenu ».

 

Je me demande si c’est pour Snoop qu’il dit ça ?

 

Les bras en croix devant mon ordinateur, je réfléchis. De toute évidence, Emoji X, l’inutile, le bizarre, l’incompris, n’exprime pas un contenu pour adultes. Ce n’est pas une hôtesse de l’air. Ce n’est pas une pom pom girl en pleine choré’ au Super Bowl. Et si Emoji X était en fait, tout simplement, le fruit d’un mélange entre les pensées d’Orient et d’Occident ? Emoji X, c’est le haïku qui rencontre le rap. C’est Rolland Barthes qui clash Snoop Dogg. C’est le cerisier en fleur qui côtoie le bulldozer. C’est le bâtard de deux cultures que tout oppose.

Emoji X, finalement, est le fossile, la dernière survivance d’une rencontre improbable, d’un télescopage entre deux mondes étrangers, que seuls internet et la technologie mobile pouvaient rendre possible.

 

XOXO

 

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