Si Minute est le titre du tout dernier livre qu’a co-écrit Mehdi Meklat avec son complice de toujours, celui que l’on surnomme Badrou, c’est aujourd’hui, surtout, le temps qu’il lui a suffit pour faire basculer sa vie. Mais de quel côté ?
Aujourd’hui au centre d’une vive polémique, que d’aucun comparerait à un acharnement médiatique, on attend de lui contrition et excuses. L’invitant, comme Madame Taubira, qui avait posé en une des Inrocks avec le duo, à « puger, curer, cureter » son esprit.
Mais, comme le demandait si justement dans le titre de son 1er album, le Ministère AMER : « Pourquoi tant de haine » ?
A première vue, c’est le contraste qui choque, créant la surprise et la consternation de tous ceux qui portaient aux nues le jeune homme, représentation idéale, positive et heureuse, d’une jeunesse élevée pourtant dans la dureté d’une banlieue défavorisée. Ce qui choque, c’est le contraste, donc.
D’un côté, les propos tenus par le duo formé par Mehdi Meklat et son compère, allias « Les kids », dans leurs chroniques radio qui les firent connaître (avec le Bondy Blog), chroniques truffées de bons sentiments et d’une tolérance propre à étouffer un chrétien lui-même. D’un autre côté, les propos tenus par celui que le jeune homme appelle aujourd’hui, son « double maléfique » : Marcelin Deschamps. Avatar dont les messages déversés sur Twitter depuis 2012 à l’égard d’inconnus comme de personnes de son entourage, sont aujourd’hui jugés (car ils le sont) homophobes, antisémites, misogynes, j’en passe.
The walk of shame
Renié par sa maison d’édition Le Seuil, ou encore par l’animateur François Busnel qui l’avait encensé la veille pour la sortie de son livre dans son émission La Grande Librairie, le jeune garçon devra-t-il prendre le chemin de l’exil ? C’est pour l’instant semble-t-il la seule alternative qu’il envisage, puisque de toute évidence, la marche de la honte sous les crachats ne suffit pas à réhabiliter l’homme.
Or, quand on y regarde de plus près, quand on lit les articles sur le sujet, on se rend compte que l’entourage du garçon connaissait vraisemblablement l’existence de ce compte Twitter. Et non seulement le connaissait, mais le tolérait, voire parfois en riait, sous couvert d’humour cynique pour Pierre Siankowski des Inrocks. Ou de dénonciation, selon Pascale Clark. Ce qui fut en réalité intolérable pour eux, ce qui jeta le trouble, c’est ce jour, cette minute fatidique, où Medhi Meklat, par un acte manqué (une volonté inconsciente ?) fit soudain fusionné son vrai nom avec les propos de Marcelin Deschamps, qu’il avait jusqu’ici qualifié de personnage de fiction.
On peut se demander quelle folie lui est passée par la tête ? Mais on peut se dire aussi :
Et si c’était, au fond, un acte salvateur ?
Car en définitive, qu’a fait ce garçon, si ce n’est de se révéler lui-même, dans sa globalité ? Quel autre acte a commis cet embryon d’homme que d’en finir, par ce geste malheureux ou heureux, avec ce personnage, pour épouser enfin ses contradictions ? Peut-être même qu’en collectant tous ses messages haineux, plutôt que de les effacer sous la vindicte générale – dans une tentation d’oubli impossible sur internet -, il tenait là la matière de son plus beau livre, de son premier vrai livre, celui qui le ferait naître, qui le raconterait vraiment…
Car qu’est-ce donc que ce jeune homme issu de la banlieue à qui on ne laisse de place, qu’on ne laisse s’exprimer que parce qu’il tient des petits propos gentillets, toujours policés, sans aucune anicroche, sans aucune animosité, sans aucun mouvement de l’âme, sans aucune haine à canaliser, sans aucun vice inavouable et sans aucunes hontes dissimulées, dont est constituée toute âme humaine ? Qu’est-ce donc que le destin de ce jeune homme, devenu coqueluche de Pascale Clark, grande complice de Patrick Cohen lors de leur collaboration sur France Inter ? Patrick Cohen qui, lui-même, pointa un jour du doigt l’animateur Frédéric Taddeï, lui faisant critique de son irresponsabilité lorsque de rares fois il se risqua à donner, pour la liberté du débat, la parole dans son émission Ce soir ou jamais à des gens jugés être des « cerveaux malades ».
Comment exister dans un tel manichéisme de pensée ?
Personnellement, je ne me suis jamais reconnue dans les chroniques des « Kids », je les trouvais mielleuses, un peu simplistes. Par contre je me reconnais dans l’amour autant que dans la haine, dans la lumière autant que dans la noirceur. Et je suis triste de voir ce garçon qui vient de réunir les deux, même malgré lui, de sortir d’une schizophrénie intenable à tout homme, se fait conspuer par tous ceux (ou presque) qui le connaissaient (lui et son double). Pire, je suis inquiète d’une société si prompte à rejeter l’autre dans sa vérité et de l’accueillir dans son mensonge.
J’ai envie de lui dire : tant mieux ! C’est peut-être sa chance et sa libération. Sa chance de rejoindre ses semblables, tous ceux qui sont traversés par des contradictions. De découvrir enfin sa face sombre, celle que nous avons tous, et qu’il avait jusqu’ici tenu éloignée sous ce pseudonyme qui, si on y regarde bien, portait en lui tout le tort qu’il se causerait un jour, son propre désir inconscient : celui de se subvertir lui-même. Comme Marcel Duchamps en son temps, avec son urinoir, fit un jour offense à l’art tout entier tel qu’on voulait le faire advenir : figé et monnayable. Et si Marcelin Deschamps avait souillé Mehdi Meklat pour mieux le sauver ?
Alors quand toute la « fachosphère » comme on dit, qui s’en réclame ou le menace aujourd’hui, assumera enfin ses propos sous son vrai nom, et quand, de l’autre côté, tous les « bien-pensants » comme on le dit aussi, qui lui tournent le dos, assumeront leurs contradictions et montreront enfin leur vrai visage, alors peut-être enfin ces deux camps, irréconciliables depuis Céline et tant d’autres, depuis Le Marquis de Sade lui-même bien avant eux, alors peut-être pourront-ils enfin se comprendre et se parler.
Un prophète malgré lui ?
En ce sens, Medhi Meklat, dont il est drôle de constater que le nom en verlan se prononce La Mecque, peut-être, par cet acte inconscient nous montre-t-il, tel un prophète malgré lui, un chemin où marcher. Un chemin en dehors de nos sentiers battus et rebattus, silencieux, étouffants, clichés, polarisés, où il est aujourd’hui devenu interdit de se contredire et bientôt, pourquoi pas, de penser.
Moi qui n’ai jamais vraiment aimé ce jeune homme, car j’ai toujours trouvé que quelque chose chez lui sonnait faux, aujourd’hui, enfin, je le trouve intéressant dans sa monstruosité. Vrai. C’est pourquoi je lui souhaite de trouver la force de se reconstruire avec toute sa richesse et d’éviter à tout prix le martinet qu’on lui tendra à tout bout de (Des)champs, pour continuer à se fouetter d’avoir malgré lui épousé sa propre condition humaine.
PS : bon courage à toi, Badrou. T’en fais pas, vieux, c’est un mal pour un bien, de toute façon il allait bien falloir vous séparer un jour. Tu sais, le seul duo masqué qui vaille dans le paysage de la pop culture, c’est celui des Daft Punk. Et il n’y a pas de place pour quatre !
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